LA COMMUNION, UN MONDE A DÉCOUVRIR

La foi chrétienne est dynamique de service et d'amour. Elle est aussi liturgie avec ses rites, et en particulier avec son repas sacré : la Cène. Pourquoi ? Dans quel but ? Examinons ce que dit la Bible à ce sujet.

La communion dans son sens le plus étendu n'est pas le fort de l'homme moderne ; à notre époque, de nombreux facteurs le poussent à s'isoler, à vivre séparé des autres, à les côtoyer sans les rencontrer. Le témoignage des chrétiens en devient d'autant plus important : n'est-ce pas à leur capacité d'aimer et de communier que l'on devrait les reconnaître ?

Pour eux, la communion est premièrement un acte religieux : la célébration du repas institué par Jésus-Christ peu avant sa mort. Nous l'appellerons indifféremment "sainte Cène", "Eucharistie" ou "repas du Seigneur". Deux éléments doivent nous inciter à étudier ce sujet plus à fond :

1. Le nombre étonnant d'idées fausses qui circulent à ce propos, si l'on se place au point de vue biblique ; la communion apparaît alors comme un véritable monde à découvrir ;
2. L'importance que le Christ y attribuait, lui qui a déclaré au moment de l'instituer : "Combien j'ai désiré prendre ce repas de la Pâque avec vous avant de souffrir !" (Luc 22:15, traduction en français courant). S'il y tenait à ce point, n'était-ce pas pour apprendre à ses disciples une chose essentielle, dont le sens leur avait échappé jusqu'alors ? Cela devrait nous inciter à une étude très attentive. Aussi commencerons-nous par relire ensemble le texte de l'Évangile qui retrace l'institution de la Cène.
"Faites ceci en mémoire de moi".

"Le jour des pains sans levain, où l'on devait immoler la Pâque, arriva, et Jésus envoya Pierre et Jean, en disant : Allez nous préparer la Pâque, afin que nous la mangions... . L'heure étant venue, il se mit à table, et les apôtres avec lui. Il leur dit : J'ai désiré vivement de manger cette Pâque avec vous, avant de souffrir ; car, je vous le dis, je ne la mangerai plus, jusqu'à ce qu'elle soit accomplie dans le royaume de Dieu... . Ensuite il prit du pain ; et, après avoir rendu grâces, il le rompit, et le leur donna, en disant : Ceci est mon corps, qui est donné pour vous ; faites ceci en mémoire de moi. Il prit de même la coupe, après le souper, et la leur donna, en disant : cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang, qui est répandu pour vous" (Luc 22:7,8,14-16,19,20).

Par le repas de la Pâque, les Juifs rappelaient l'intervention miraculeuse du Dieu qui les avait délivrés de l'esclavage en Égypte, au temps de Moïse. L'Éternel, à ce moment, les avait mis à part comme son peuple. Ce n'est pas un hasard si Jésus tient à lier l'Eucharistie à cette fête : il y aura commémoration d'une alliance nouvelle, formation d'un peuple nouveau à partir de sa mort et de sa résurrection.

La sainte Cène est un symbole vécu. Tous les fidèles sont invités à prendre part aux deux gestes symboliques : partage du pain, partage du contenu de la coupe, en souvenir de ce que le Maître a fait pour eux. Ces deux actions n'expriment pas la même réalité, mais elles se complètent. Le pain représente le corps du Christ, offert pour l'humanité. Il est rompu. Nous sommes placés devant un geste qui "défait", qui "disperse". Jésus annonce par-là ce qui va lui arriver : son corps sera cloué au bois, meurtri pour le salut du monde. Mais le pain est ensuite distribué aux croyants, ceux-ci doivent le manger, autrement dit l'assimiler, se l'approprier, faire passer en eux ce qui leur était étranger. La communion eucharistique "introduit en notre esprit, à des degrés divers, ce double sentiment de n'avoir point en nous et de recevoir du dehors la force qui nous fait vivre" (F. J. Leenhardt, "Parole Visible", Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1971). Cette vérité, soulignée ici par F. J. Leenhardt, un théologien protestant, se retrouve dans un autre symbole de la Bible : celui de l'arbre de vie qui apparaît dans le jardin d'Éden et dans le paradis restauré (Genèse 3:22 ; Apocalypse 22:2).

Si le pain rompu et consommé évoque le drame de la croix, le sacrifice de Jésus, que représente la coupe ? Dans l'évangile de Matthieu, le Christ affirme : "Je vous le dis, je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, jusqu'au jour où j'en boirai du nouveau avec vous dans le royaume de mon Père" (Matthieu 26:29). Le vin symbolise le sang répandu, c'est indéniable ; précisons d'ailleurs immédiatement que l'image, pour ne pas être équivoque, exige l'emploi de vin non fermenté (et de pain non levé), puisque l'alcool et le levain sont associés au péché dans la Bible (voir en particulier Éphésiens 5:18 et Deutéronome 29:18, pour l'alcool, 1 Corinthiens 5:6-8 et Lévitique 2:11, pour le levain). Mais la coupe fait aussi allusion au festin de noces de l'Agneau, qui rassemblera les fidèles de tous les temps et marquera le début de l'éternité en présence de Dieu. C'est donc une perspective glorieuse qui s'ouvre devant nous : après avoir contemplé la croix et communié au corps crucifié, nous ressentons l'allégresse du salut accordé et nous participons, par la foi, à la gloire du Ressuscité. F. J. Leenhardt, dans "Le Sacrement de la Sainte Cène", paru chez Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, en 1948, soulignait que les deux couples pain et coupe, et mort et retour de Jésus, étaient aussi rapprochés de manière très forte par l'apôtre Paul : "Toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne" (1 Corinthiens 11:26, traduction oecuménique).

Dire que l'Eucharistie est un symbole vécu, c'est affirmer aussi qu'elle n'est pas davantage. On connaît suffisamment le point de vue catholique : chaque parcelle de l'hostie sacrée, chaque goutte du vin symbolique sont transformées en la personne même de Jésus-Christ (doctrine de la transsubstantiation) ; la présence du Seigneur est ainsi matérialisée dans les espèces, celles-ci ne conservant plus que l'apparence extérieure du pain et du vin. Cette conception exalte le rôle du prêtre, qui a le pouvoir de répéter le sacrifice du Christ ; la coupe lui est réservée, à l'exclusion des simples fidèles. Le repas institué par Jésus devient alors un sacrement apparenté à un "acte magique".

L'enseignement biblique va dans un sens tout à fait différent. Jésus-Christ est présent lors de la célébration de la Cène, bien sûr, mais sa présence est de nature spirituelle. Le pain et le fruit de la vigne restent de purs symboles. Le Sauveur précise clairement sa pensée en affirmant : "Celui qui mange ma chair et boit mon sang vit en moi et je vis en lui. Le Père qui m'a envoyé est vivant et je vis par lui ; de même, celui qui me mange vit par moi" (Jean 6:56,57, traduction en français courant). Le lien qui unit le Christ à Dieu le Père est de nature spirituelle : Jésus communie avec Dieu par la prière et la mise en pratique de sa volonté. "Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé, et d'accomplir son oeuvre" (Jean 4:34). Il s'agit d'une réalité profonde, engageant l'être intérieur. Pour le croyant, de même, "manger la chair" du Christ et "boire son sang" revient à observer ce qu'il a prescrit, à se laisser animer de son Esprit.

Voilà ce que l'Église évoque au moment où, rassemblée pour adorer le Seigneur, elle célèbre la Cène. Ce geste symbolique aide les chrétiens à insister sur une vérité centrale : hors du Christ, pas de salut ! Il convient de proclamer bien haut ce message, tout spécialement à notre époque, où foisonnent les idéologies les plus étranges avec leurs pseudo-sauveurs... .

Un préambule important.

Alors que Jésus s'apprêtait à donner sa vie pour nous sauver du mal, les siens "discutaient ferme" pour savoir (...) lequel d'entre eux devait être estimé le plus grand (Luc 22:24). Vous imaginez-vous la scène ? D'un côté (celui de Dieu), le geste d'amour le plus sublime qui soit ; de l'autre (celui des hommes), une préoccupation "à ras du sol", une démonstration insupportable de vanité et de suffisance.

Le fossé était trop grand pour que Jésus puisse inviter les siens à prendre la communion... . Il fallait une prise de conscience de la part des disciples. Avec une simplicité touchante, l'évangile de Jean rapporte ce qui s'est passé :

"Jésus, qui savait que le Père avait remis toutes choses entre ses mains, qu'il était venu de Dieu, et qu'il s'en allait à Dieu, se leva de table, ôta ses vêtements, et prit un linge, dont il se ceignit. Ensuite il versa de l'eau dans un bassin, et il se mit à laver les pieds des disciples, et à les essuyer avec le linge dont il était ceint" (Jean 13:3-5).
Consternation dans le groupe des Douze ! Évidemment, comme ils avaient tous tenu à montrer leur supériorité, à étaler leurs titres de gloire, pas un ne s'était abaissé à faire la besogne des domestiques en lavant les pieds des autres, comme c'était la coutume à l'époque, à cause de la poussière des chemins. Remplis de confusion, les disciples durent laisser le Seigneur aller jusqu'au bout de son service. A Pierre qui tenta de résister, Jésus répondit fermement : "Si je ne te lave, tu n'auras point de part avec moi." Et après avoir repris ses vêtements, il laissa une consigne très claire aux siens : "Si donc je vous ai lavé les pieds, moi, le Seigneur et le Maître, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres ; car je vous ai donné un exemple, afin que vous fassiez comme je vous ai fait... . Si vous savez ces choses, vous êtes heureux, pourvu que vous les pratiquiez" (Jean 13:14-17).

Jésus nous invite expressément à reproduire son geste. Il ne suffit pas de graver la leçon dans nos esprits (c'est bien sûr le plus important), mais il faut encore nous laver les pieds les uns aux autres dans un sens très concret. Cette cérémonie prépare les fidèles à prendre la sainte Cène. Il est regrettable que la plupart des Églises l'aient délaissée. Pour être vraiment complète, la communion doit être précédée d'un moment où les chrétiens se lavent les pieds mutuellement ; ce geste symbolique possède une grande force évocatrice. En l'accomplissant, nous "laissons au vestiaire" notre dignité personnelle. Si nous avons offensé quelqu'un, par exemple, nous lui montrons en lui lavant les pieds combien nous regrettons notre attitude. Par-là, nous rappelons également le baptême que nous avons reçu ("celui qui est lavé n'a besoin que de laver ses pieds pour être entièrement pur" (Jean 13:10)). Et surtout, cela nous met dans les dispositions voulues pour comprendre la signification de l'Eucharistie (la joie du service, du don de soi-même). Voilà pourquoi l'ablution des pieds fait intégralement partie du service de communion. Si on la néglige, on ampute la Cène d'une partie de son sens.

Il nous faut maintenant réfléchir à ce qu'est concrètement l'attitude du chrétien : quand il prend part au repas du Seigneur, quelles en sont les retombées dans sa vie ?

Les répercussions dans nos vies.

Le pasteur Roger Barilier soulève un point que nous ne saurions passer sous silence : "La sainte Cène est un engagement qui oblige à rompre avec toutes les attitudes mauvaises. Une communion sans conséquences pratiques serait vaine et coupable" (R. Barilier, "Fréquence de la Communion", Chesalles sur Moudon : "Église et liturgie").

Ces conséquences pratiques se situent à deux niveaux : sur un plan personnel (dans nos relations avec Dieu) et sur un plan communautaire. C'est surtout le deuxième aspect qui retiendra notre attention, car le premier (joie et reconnaissance pour le salut accordé) est plus général et s'applique à tous les genres de culte, avec ou sans service de communion.

Le mot central est revenu de lui-même : communion. Cela signifie au moins trois répercussions possibles dans notre vie. (Je m'inspire ici très librement de remarques pertinentes de M. E. Kohler, "Vivre la Cène", Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, 1967 ; "La sainte Cène est peut-être le seul rite purement et simplement chrétien. Il n'est lié qu'à l'histoire sainte, sans aucune référence à tel passage de la vie humaine" (H. Hatzfeld, "La Flamme et le Vent", Le Seuil, Paris, 1952) ; "Christ est présent, non dans ce qu'il donne, mais pour le donner" (F. J. Leenhardt, "Le Sacrement de la sainte Cène).

1. Une redécouverte de la fraternité chrétienne.

Comment pourrait-il se faire que ceux dont je partage la foi me restent indifférents ? Je me suis doublement associé à eux : en rappelant le geste du Christ qui a lavé les pieds de ses disciples, et en évoquant avec mes frères ce qu'il a fait pour notre salut.

Il faut noter que Jésus n'a pas choisi n'importe quel symbole, n'importe quelle manière de commémorer le don de sa vie. Il a voulu que cela se produise au cours d'un repas. N'est-ce pas le lieu par excellence des échanges et du partage ? Le père de famille a travaillé pour que les siens aient à manger ; la mère a préparé les plats en y mettant une partie d'elle-même ; les enfants reçoivent cet amour, cette sollicitude de leurs parents et ils y répondent. L'invité sera lui aussi associé à ce partage, à ce don. Il devrait régner autour de nos tables un climat d'allégresse et de reconnaissance.

Quand le Seigneur me convie à la table sainte, il me donne l'occasion d'éprouver les mêmes sentiments à l'égard de mes frères en la foi. Il souhaite que j'apprenne à les connaître, à les apprécier, à les accueillir dans ma vie.

2. L'Eucharistie nous inspire d'autre part un sentiment profond du lien qui nous unit aux croyants de tous les temps.

En termes théologiques, cela s'appelle la "communion des saints". Non pas que nous nous croyions meilleurs que les autres ! Le mot "saints" désigne simplement les disciples du Christ, indépendamment de leurs qualités morales. Comme on l'a dit, ils n'essaient pas d'être meilleurs que les autres, mais meilleurs pour les autres.

3. Cela nous amène au troisième point : un éveil de la solidarité du chrétien avec le monde.

En "communiant" au sens restreint, nous apprenons à communier au sens large, en déposant toute l'humanité entre les mains du Dieu d'amour et en nous mettant au diapason pour vibrer comme lui devant la souffrance de ses créatures. La Cène centre nos regards sur le Christ, mais sur le Christ qui se donne pour le monde entier. Il nous appartient de reproduire son mouvement d'amour.

Deux écueils à éviter.

Ainsi, à tous les niveaux, nous créons un lien : avec le Dieu qui nous aime, avec son Fils, vivant pour l'éternité, avec ceux dont nous partageons la foi, avec tous nos semblables. Le repas du Seigneur est donc, dans la vie d'une communauté chrétienne, un moment très important, un "temps fort".

D'où la tentation de le considérer, soit avec une gravité excessive, soit au contraire de manière irréfléchie. D'un côté nous aurons des visages où se marquera une certaine dose d'effroi, de l'autre des attitudes légères et insouciantes.

Aux croyants qui manquent de profondeur et de sérieux, nous rappellerons simplement le conseil de l'apôtre Paul : "Si quelqu'un mange le pain du Seigneur ou boit de sa coupe d'une façon indigne, il se rend coupable de péché envers le corps et le sang du Seigneur. Que chacun donc s'examine soi-même ; (...) car si quelqu'un mange du pain et boit de la coupe sans reconnaître leur relation avec le corps du Seigneur, il attire le jugement sur lui-même en mangeant et buvant" (1 Corinthiens 11:27-29, traduction en français courant).

Tous nos gestes ont un sens. Un homme qui communierait sans vraiment communier serait un faussaire. L'heure est au discernement : le Christ est là, je ne dois pas le décevoir ; mes frères en la foi m'entourent, je ne dois pas leur faire défaut ; l'humanité entière attend, je ne dois pas la trahir. Et tout cela m'engage à vivre différemment, ce n'est pas l'affaire d'un instant !

Aux croyants, à l'inverse, qui éprouvent de l'angoisse ou de l'effroi en prenant part à ce repas sacré, nous dirons que la Cène est un moment joyeux dans la vie de l'Église. Pas trace de crispation intérieure dans l'attitude des premiers chrétiens : "Ils étaient chaque jour tous ensemble assidus au temple, ils rompaient le pain dans les maisons, et prenaient leur nourriture avec joie et simplicité de coeur, louant Dieu, et trouvant grâce auprès de tout le peuple" (Actes 2:46,47).

La présence de Dieu n'est pas consumante pour qui se repent de son péché. Jésus m'assure de l'amour éternel de son Père. En face de moi, je trouve non pas un Juge, mais un Ami. Le Seigneur tout-puissant est bien disposé à mon égard, il va même jusqu'à me convier à un repas de fête. Et lorsque l'heure est venue, il m'attend. Il ne m'a pas oublié dans la foule des invités. Il tient à m'accueillir personnellement. Écoutez sa voix : "Dites aux conviés : Voici, j'ai préparé mon festin ; (...) tout est prêt, venez aux noces." "Je suis le pain de vie... . Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement" (Matthieu 22:4 ; Jean 6:48,51).

La perspective est encore plus chaleureuse, plus intime dans une dernière invitation qu'il nous adresse, une invitation particulièrement émouvante : "Voici, je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui et je prendrai la Cène avec lui et lui avec moi" (Apocalypse 3:20, traduction oecuménique).

Auteur: YB ("Convictions")


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