PROTESTANTS, ÉVANGÉLIQUES: FRERES SÉPARÉS OU COUSINS GERMAINS?

SOMMAIRE:

Rappel historique
Piétisme et méthodisme
Le Réveil
Qu'est-ce qui nous rapproche? qu'est-ce qui nous divise? La Bible ? L'Eglise ? La société ?
S'unir, mais pour quoi faire? Unis pour une meilleure influence ? Unis pour un meilleur témoignage ?
Quelques suggestions pour finir !

Cet exposé se propose de poser deux questions importantes. La première est la suivante: Y a-t-il plus d'éléments qui rapprochent les diverses familles protestantes que d'éléments que les divisent? Quant à la seconde, nous la formulerons ainsi: s'unir entre protestants certes, mais pour quoi faire? Répondre à ces deux questions fondamentales n'est pas une entreprise simple.

Rappel historique:
Un retour dans l'histoire du protestantisme est nécessaire. Rappelons-nous que le protestantisme dès le départ a été divisé en trois grandes familles au moins. Vers 1550, 30 ans environ après que Luther eût affiché ses fameuses thèses critiquant la pratique des indulgences, cette manière de se payer son salut, la chrétienté occidentale comptait, outre Rome, trois principaux centres: Wittenberg, centre de la réforme luthérienne, Genève, ou mieux un axe Genève-Zurich, centre de la réforme calviniste, et, enfin, Londres, centre de la Church of England, l'anglicanisme, qui, tout en ayant gardé certaines formes extérieures du catholicisme romain, n'en était pas moins une branche du protestantisme. Entre ces diverses Églises protestantes, nous l'avons oublié, l'harmonie ne régnait pas. Ne disait-on pas dans l'Allemagne luthérienne: "mieux vaut un papiste qu'un calviniste!"
La principale raison de la mésentente provenait de l'interprétation que l'on avait de la sainte cène. Les luthériens estimaient qu'il fallait continuer à croire à une présence réelle, matérielle du corps et du sang de Christ dans la sainte cène; les calvinistes, de leur côté, tout en reconnaissant qu'il y avait bien une présence réelle du Christ dans la sainte cène, affirmaient que cette présence était spirituelle et non pas matérielle: le Christ était réellement présent, mais par son Esprit. Cet important différend n'a trouvé sa solution qu'en notre siècle, par la signature en 1963 de la Concorde de Leuenberg, grâce à laquelle les protestants issus de la réforme calviniste et ceux issus de la réforme luthérienne peuvent désormais communier ensemble librement.

Cette décision d'intercommunion protestante, peu connue du public des Églises protestantes, nous rappelle que dès le 16e siècle, le protestantisme fut divers et même divisé. De surcroît, il fut marqué dès la fin du 17ième et surtout au 18ième siècle par une nouvelle désunion suscitée par le piétisme et, ce qui lui correspond en Grande-Bretagne, le méthodisme.

Piétisme et méthodisme:
S'interroger sur l'émergence de ces deux mouvements parents l'un de l'autre nous rapproche de nos préoccupations de ce jour. Spener, l'initiateur du piétisme, se plaignait qu'on lisait mal la Bible, dans le but presque exclusif de nourrir la controverse anti-catholique, ou pour prononcer de fastidieux sermons savants dénués de saveur spirituelle et pratique. Les piétistes estimaient aussi que la piété s'était desséchée et que l'éthique avait perdu toute vie. Il fallait retrouver le sens de la prière et du partage biblique communautaire. Une morale individuelle et soucieuse de suivre les exigences de la Parole de Dieu, devait remplacer les exigences de moralité générales, consignées dans les ordonnances ecclésiastiques qui réglaient la vie des cités et des Etats.
De ces retrouvailles avec la Bible, de ce renouveau de la piété et de l'éthique, sortirent des fruits importants: des écoles, où les principes chrétiens formèrent la base de l'enseignement, le début du grand mouvement missionnaire outre-mer, ainsi que le commencement de ce qu'on appellera plus tard la "mission intérieure", soit la prise en compte par les chrétiens, de manière encore timide, des problèmes sociaux tue posaient les débuts de la civilisation industrielle.

Le Réveil:
Le piétisme et le modernisme marquèrent profondément le protestantisme. Leur influence fut relayée et amplifiée au 19ième siècle par un mouvement dont l'actuel visage des Églises protestantes est encore marqué: le Réveil.
Fascinant mouvement exprimant la soif du religieux qui s'empara de l'Europe après la Révolution et l'Empire, le Réveil - qui correspond au romantisme littéraire et musical - proposa une piété vécue qui rompait avec la théologie et la piété rationnelles et froides du 18ième siècle. Malheureusement, ce renouveau dynamique de la piété protestante se traduisit par une espèce d'émiettement du protestantisme. Ce phénomène fut rendu possible par le fait qu'à partir de la Restauration, la liberté de croyance, reconnue dans les pays protestants, et dans quelques royaumes catholiques, permit à chacun de vivre sa croyance en dehors des Églises nationales officielles. Ce qui était une conquête démocratique eut des effets sur l'unité du protestantisme.
C'est ainsi que se créèrent, à côté des Églises nationales, les Églises libres issues du Réveil. Celle du canton de Vaud date de 1845. L'une de ses premières revendications fut de renoncer à tout lien avec l'état, afin de sauvegarder la liberté de la foi. Vinet, sans doute le plus grand Vaudois du 19ième siècle, en fut l'inspirateur. D'autres communautés marquées par le Réveil se constituèrent ailleurs en Églises autour de certains thèmes de la réforme, comme la grâce ou la conversion. Elles allèrent souvent au-delà de la réforme, renonçant à l'ancienne structure ecclésiale réformée de type presbytéro-synodal, lui préférant un modèle plus congrégationaliste, avec ou sans pasteur, réputé plus proche du Nouveau Testament.
(NOTE: Le modèle congrégationaliste laisse une très grande autonomie à chaque Eglise locale en matière d'organisation et de gestion financière. Le lien avec les autres Églises-soeurs est ténu. Dans le modèle presbytéro-synodal, les Églises locales gardent certes une certaine autonomie, mais le lien d'unité entre elles est assuré par un synode, sorte de parlement composé de représentants des Églises locales. Le synode prend un certain nombre de décisions concernant la doctrine, la gestion de fonds communs, d'actions à entreprendre ensemble, etc., auxquelles les Églises locales doivent se soumettre.)

Ces Églises et communautés réveillées furent animées d'une étonnante volonté d'évangéliser et de créer des oeuvres pratiques. Elles donnèrent ainsi naissance à de multiples sociétés de mission, comme la Mission de Bâle ou celle de Paris, pour ne citer que celles qui ont perduré jusqu'à nos jours. Elles créèrent d'innombrables oeuvres pour soulager les misères du temps, alcoolisme, pauvreté, prostitution, etc. Un annuaire datant des années 1860 recense pour la Suisse 798 oeuvres caritatives différentes, dont la grande majorité a été créée par des protestants. Cela va d'entreprises aussi célèbres que la Croix-Rouge ou la Croix-Bleue, toutes deux d'inspiration chrétienne évangélique, à des oeuvres comme cette société évangélique qui prêtait des machines à coudre à des femmes dans le Toggenbourg, afin de leur permettre d'exercer leur profession à domicile et d'éviter ainsi de tomber dans la misère! On pourrait multiplier les exemples qui montrent à la fois la vitalité et la fragmentation du mouvement suscité par le Réveil.
Les Églises et communautés réveillées connurent également un renouveau dans la manière de lire la Bible. Elles estimèrent que la Bible était complètement inspirée, jusque dans ses moindres virgules et que par conséquent on devait en faire une lecture littérale - c'était ce que l'on appelait le "fondamentalisme". Le Saint-Esprit ayant tout inspiré, on ne pouvait rien toucher au texte biblique et tout devait être pris au pied de la lettre.
(NOTE: La doctrine de l'inspiration littérale de la Bible est appelée théopneustie. Ce terme d'origine grecque veut dire "inspiré de Dieu". Il est utilisé dans 2 Tim. 3.16.)

A l'opposé de cette conception de la Bible, se développa la méthode historico-critique de la lecture qui tenait la Bible pour un document historique comme un autre, donc justiciable d'une analyse scientifique. Certains tenants de cette méthode finirent par s'en prendre à Jésus lui-même, disant qu'il n'avait pas existé ou qu'il était l'expression de la foi de la primitive Eglise, ou l'expression d'un mythe religieux synthétisant ce qu'il y a de plus noble dans l'humanité.
Entre la théopneustie et le fondamentalisme d'une part, la critique biblique et le protestantisme libéral de l'autre, s'opéra une véritable fracture, qui n'a jamais été complètement réduite jusqu'à nos jours.

Qu'est-ce qui nous rapproche? qu'est-ce qui nous divise?:
Sur cette situation héritée de l'histoire tourmentée du protestantisme, il faut porter un regard à la fois lucide et volontaire. Lucide, car il faut voir les choses telles qu'elles sont, souvent graves tant les points de vue paraissent irréconciliables. Mais volontaire également, car il ne s'agit pas de baisser les bras face à des situations qui semblent définitivement bloquées. Il faut absolument vouloir que ce qui nous rapproche, soit plus important que ce qui nous sépare. Aussi vais-je évoquer maintenant trois éléments à propos desquels les protestants se divisent, mais qui devraient néanmoins être l'occasion d'un rapprochement.
La Bible:
La Bible, nous l'avons tous en commun, c'est notre trésor. Mais la Bible, il faut la lire et c'est là que surgissent les problèmes. Les protestants évangéliques pensent en effet que le 19ième siècle a bien fait de dire que toute la Bible était complètement inspirée et qu'on ne saurait faire dépendre son autorité des résultats de la critique historique.
Ils se heurtent à d'autres protestants qui, jugeant la Bible difficile à comprendre, cherchent à savoir dans quel contexte historique elle a été rédigée, afin de mieux percevoir l'intention qui se cache derrière les mots, et qui se mettent à disséquer le texte biblique en perdant de vue que c'est un texte saint.
Ces deux positions doivent faire l'objet d'une critique. A ceux qui sont tentés par un certain littéralisme, il faut recommander de ne pas projeter sur l'Ecriture le contenu de leurs certitudes et de leurs croyances, au risque d'empêcher la Bible de les interpeller véritablement. Aux passionnés de critique, il importe de rappeler qu'ils courent le risque de ne plus trouver dans la Bible qu'un texte sans saveur, à peine différent d'un texte d'Homère ou de Cicéron, et de ne plus considérer la Bible comme le lieu où la Parole de Dieu s'exprime.
Certes, tous les protestants de bonne foi se tiennent face à l'Ecriture pour entendre la Parole de Dieu, et estiment qu'il faut laisser Dieu nous y parler par son Esprit. Mais le problème resurgit dès lors que l'on se demande comment Dieu se sert de la Bible pour parler à ses créatures. Les protestants aux sensibilités différentes, voire opposées, ne devraient-ils pas admettre que Dieu peut choisir diverses manières de s'exprimer, soit au travers d'une lecture naïve, immédiate, qui peut avoir un gros impact, soit au travers d'une lecture qui tienne compte d'une mise en perspective historique du texte et fasse ainsi redécouvrir un sens que l'on croyait déjà bien connaître?
La Bible peut très bien être le lieu où tous les protestants se retrouvent, mais à deux conditions. La première est de ne pas disqualifier, voire condamner d'emblée, la manière dont les autres s'efforcent d'y entendre et d'attendre la Parole de Dieu. La seconde consiste à accepter de reconnaître que la méthode de lecture de la Bible pratiquée par les autres, recèle également une incontestable richesse spirituelle.
L'Eglise:
Un autre sujet de rapprochement ou de séparation entre les protestants, est la manière dont ils comprennent l'Eglise. L'Eglise est une question très sensible, car c'est le lieu où s'exprime et se vit l'identité confessionnelle de chacun, et par conséquent le lieu où peut naître un conflit avec des identités confessionnelles comprises différemment.
Ce qui réunit les protestants, c'est l'idée que l'Eglise n'est pas d'abord une affaire de hiérarchie, ni un magistère qui pourrait obliger à lire l'Ecriture de telle ou telle manière et à pratiquer telle ou telle morale. L'Eglise, pour tous les protestants, c'est à l'origine la réunion de tous ceux qui confessent Jésus comme le Christ. Tous les protestants reconnaissent que Jésus-Christ est le seul chef de l'Eglise. Ce qui les sépare, c'est la manière dont ils envisagent les ministères au sein de l'Eglise et la place que l'Eglise doit tenir dans la société, (lien avec l'État, par exemple) et par rapport à l'histoire (responsabilité par rapport à la tradition protestante).

Là encore, une conciliation des points de vue s'impose. De la tradition réformée, il faut retenir le sens du ministère de la Parole, et le sens de la continuité de l'Eglise à travers les siècles. Les réformés, dits nationaux, vivent des moments difficiles parce qu'ils ont une responsabilité vis-à-vis de l'histoire. Ils sont les héritiers d'une situation qui leur a été léguée par les siècles où l'Eglise était liée à l'État et même inspirait l'État.
Cette situation remonte au 16ième siècle, époque de la floraison de la Réforme. Elle remonte même à l'époque lointaine où l'empereur Constantin, en 313, reconnut le christianisme comme religion officielle. En dépit du désir de beaucoup, on ne peut revenir à la situation qui prévalait avant Constantin, alors que le christianisme n'avait pas officiellement la charge des besoins religieux de la société. Les Églises protestantes ne sauraient se retirer sous leur tente sous prétexte que l'État et la société ne sont plus chrétiens. On ne peut rayer d'un trait de plume un compagnonnage de plusieurs siècles avec un pays ou une société humaine.

Si les Églises réformées doivent rappeler le sens du ministère et de la continuité que doit avoir toute Eglise, en revanche, les communautés évangéliques doivent proposer en exemple au protestantisme leurs structures, en principe moins lourdes, qui leur permettent de répondre plus rapidement aux besoins spirituels du monde moderne. Certes, les communautés évangéliques ont leurs pesanteurs - anciens indéboulonnables, rigidité de certains principes, souvent confondus avec la Parole de Dieu - mais dans l'ensemble, la souplesse de leurs structures doit inspirer et stimuler les Églises officielles dont les constitutions qui plongent leurs racines dans l'histoire, risquent toujours de retarder une meilleure évangélisation.

Les différentes conceptions de l'Eglise sont donc une question centrale pour les protestants. Ceux-ci ne devraient cependant pas se diviser sur ce sujet. Tous, ils devraient se souvenir, comme le disait Calvin, que l'Eglise est notre mère, c'est-à-dire le moyen que Dieu a choisi pour nous faire naître à la foi et nous faire connaître sa Parole pour que nous en vivions.

La société:
Le troisième point qui sépare ou rapproche les protestants, c'est la manière dont ils jugent la société qui les environne et se situent par rapport à elle. Selon le point de vue que l'on adopte sur ce point, l'éthique sera différente. Est-on du monde, ou est-on dans le monde? Suit-on les aspirations de la société ou les condamne-t-on? Les protestants évangéliques insistent sur la distance qu'il faut avoir à l'égard du monde et n'hésitent pas à le condamner, avec l'idée qu'en se tenant en retrait, on propose un témoignage plus authentique. Aussi leur arrive-t-il d'adopter des positions dures qui sont, non seulement incomprises des contemporains, mais parfois intenables pour les chrétiens eux-mêmes.
Contrastant avec cette position, il y a celle des protestants qui souhaitent accompagner et soutenir le monde, afin de susciter un éclairage évangélique sur les innombrables problèmes qui agitent la société. Ces protestants courent le risque d'affadir ou de diluer l'Evangile et de tenir un discours moral sans originalité et force.
Les évangéliques pensent que la morale chrétienne doit être en rupture avec la société, les autres protestants pensent qu'elle doit être en continuité. Or, ces deux positions doivent être assumées par l'ensemble du protestantisme. Car nos contemporains ont besoin d'une part que nous les accompagnions, que nous essayions de comprendre leurs problèmes qui sont aussi les nôtres, sans les condamner a priori, comme le fait la morale catholique-romaine. Mais ils ont également besoin du témoignage clair de la lumière de l'Evangile dont la rigueur même est source de dynamisme.

Ainsi qu'il s'agisse de l'attitude à l'égard de la Bible, de la conception que l'on a de l'Eglise ou de la conception que l'on a de l'éthique, tous les protestants doivent tourner le dos à ce qui les divise pour choisir de tenir ensemble ce qui fait la valeur de leurs positions spécifiques et apparemment opposées. De ce qui précède, on tirera la conclusion que la condamnation ou même la critique d'une famille protestante par l'autre, ne saurait être de mise. D'abord parce que ni la condamnation, ni la critique, ne sont des attitudes évangéliques! Ensuite, parce qu'aucune des familles protestantes ne peut se targuer de détenir à elle seule la vérité. Cela va sans dire, mais cela va encore mieux en le disant.

S'unir, mais pour quoi faire?:
Evangéliques et réformés sont appelés à se rapprocher, voire à s'unir, ne serait-ce que parce que dans Jean 17, le Seigneur prie pour que nous soyons un! Mais une nouvelle question se pose aussitôt: unis, mais pour quoi faire?
L'union entre protestants doit viser deux buts: d'une part, exercer une meilleure influence, de l'autre, porter un meilleur témoignage.
Unis pour une meilleure influence:
Les mouvements religieux qui nous entourent, qu'il s'agisse des mouvements issus du New Age, du besoin de réincarnation, de l'astrologie, des sectes de tout poil, etc., ont beau proposer la libération, ils s'avèrent tous plus aliénants les uns que les autres. Ils rendent les êtres humains étrangers à eux-mêmes et à leur vocation d'homme et de femme voulue par Dieu. La religiosité ambiante n'aliène et n'angoisse pas ceux qu'elle attrape dans ses filets pour un jour seulement, mais de manière durable. Si vous avez des amis psychiatres ou psychanalystes, ils vous raconteront les névroses dont ils héritent dans leurs cabinets et qui ont été générées par ces mouvements.
On n'a pas le droit d'abuser des gens religieusement. Or, il existe une manière non agressive, mais rayonnante, d'exprimer une influence religieuse, libératrice: c'est la manière dont les protestants ont l'habitude d'agir dans ce domaine. Car leur tradition religieuse porte en elle depuis le 16ième siècle, le rejet des superstitions, des faux dieux, des idoles, des astrologues et numérologues de toute sorte. Le protestantisme doit se présenter comme la religion de la liberté, de cette liberté chrétienne qui libère les hommes et les femmes de la peur et des angoisses. Les protestants unis doivent critiquer sans hésiter la religiosité ambiante afin de permettre aux véritables forces religieuses de s'exprimer, à l'homme nouveau dont parle l'apôtre Paul de vivre et s'épanouir.

Unis pour exercer une influence libératrice, les protestants doivent l'être aussi pour faire de leur confession une confession qui garde un sens aigu de sa responsabilité à l'égard de la société. Il y a toujours eu chez les protestants un souci constant des autres, un souci qui s'est traduit grâce à leurs mains et à leurs têtes dans une multitude d'entreprises au service des plus démunis et des laissés pour compte. Qu'on se souvienne de ce que les protestants ont fait dans ce domaine au siècle passé. L'influence du protestantisme doit continuer à s'exercer à notre époque par des initiatives nouvelles qui viennent soulager les malheurs toujours nouveaux qui frappent l'humanité. Mais pour que cette influence soit valable, l'union est indispensable. Le fait que nous confessions le salut par la foi, ne doit pas nous faire oublier que nous devons constamment créer des oeuvres qui soulagent la misère du prochain!

Unis pour un meilleur témoignage:
Unis pour témoigner, bien sûr. C'est sans doute sur ce terrain que le déficit des protestants est le plus grave. Car désunis, ils portent ce qu'on appelle un contre-témoignage. Or, le témoignage dans l'unité est nécessaire si l'on veut exprimer la chaleur de la présence du Christ pour notre monde contemporain. L'union est nécessaire si l'on ne veut pas que ce témoignage soit un feu de paille, mais qu'il perdure, avec vigueur et courage, en dépit de toutes les entraves que le monde contemporain lui oppose par son indifférence, voire son athéisme. Union pour que ce témoignage soit plus crédible et devienne, comme le disait Calvin, ce miroir dans lequel les gens verront l'Evangile.
Quelques suggestions pour finir:
Les évangéliques et les réformés doivent se retrouver régulièrement pour lire la Bible ensemble. Certes, ils percevront ainsi que leur approche diffère - ils le savent du reste déjà - mais ils auront surtout l'occasion d'entendre ensemble ce que la Bible a à leur dire. La Bible continue à être une parole qui parle; il faut l'écouter d'un même coeur.
Deuxièmement, évangéliques et réformés doivent tous admettre que la vérité à laquelle ils croient est en Christ, avant d'être en eux. Sitôt que l'on parle de Dieu ou de religion, chacun devient rapidement intransigeant et même intolérant, sous prétexte qu'il a fait l'expérience de la vérité. Rappelons aux uns et aux autres que leur perception de la vérité n'est qu'un reflet de la seule vérité, le Christ, qui les dépasse tous. On ne possède jamais la vérité, c'est elle qui nous possède, par le Saint-Esprit.
Troisièmement, il faut admettre qu'il puisse exister une certaine diversité entre protestants. Cela pose évidemment la question du prosélytisme au sein du protestantisme. Le rapprochement entre protestants doit-il empêcher toute conversion ou tout passage d'une famille à l'autre du protestantisme? On pourrait le penser. Mais il est vrai aussi qu'on pourrait considérer qu'un tel passage est justifié s'il est motivé par le besoin de rejoindre une communauté qui semble plus fidèle à l'Evangile que l'autre.
On ne saurait fixer des principes intangibles. En revanche, il faut exiger de chacun du doigté, car c'est la condition d'un rapprochement confiant en vue d'un témoignage commun.
Quatrièmement, il faut que tous les chrétiens mettent sur pied des actions communes, qu'ils travaillent en synergie, comme on dit aujourd'hui. Certaines actions patronnées par la Ligue pour la lecture de la Bible ou par Pain pour le prochain leur sont déjà communes. On pourrait imaginer des actions plus locales: une expérience d'évangélisation ou une expérience liturgique, pour prendre deux domaines où se manifestent clairement l'une ou l'autre des sensibilités protestantes. Il faut faire preuve d'imagination et de persévérance pour surmonter les pesanteurs propres à chaque communauté. Mais le résultat sera important, car il apportera une meilleure connaissance réciproque qui débouchera sur une réelle estime des charismes des autres. De cette manière, les protestants ne seront plus des frères et des soeurs séparés, mais tout simplement des frères et des soeurs.

Olivier Fatio, professeur d'histoire du christianisme à la Faculté de théologie protestante de Genève. Cette contribution est la transcription partielle d'une conférence donnée à Étoy (Vaud) le 19 mai 1993. (tiré de "Semailles et Moissons")

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